top of page
Photo du rédacteurBenjamin Schmetz

BADLANDS

Dernière mise à jour : 19 nov.

MAUVAISES TERRES


Est-ce qu'on peut parler de mythe ? L'historique plutôt récent de l'évènement pencherait pour une réponse négative mais quand on se fait un tel nom en quatre éditions, c'est qu'il y a en Badlands quelque chose à aller découvrir. Les places sont limitées, l'envie d'aller bouffer la poussière du Sierra Nevada ne suffit pas, faut-il encore passer le cap du tirage au sort pour être un des 300 élus (250 Solo + 25 Pair).

Alors Badlands, c'est quoi, c'est où, c'est comment ? Je vous lâche la définition copier-coller de Wikipédia qui n'invite pas à une reformulation : "Le mot badlands désigne un paysage ruiniforme des terrains marneux ou argileux, raviné par les eaux du ruissellement en faible pente. Ces terres sont en général impropres à l'agriculture."

Si on le rentre dans une case, c'est une course d'ultra gravel de 791 kilomètres & 16 000 mètres de dénivelé. Chaque année le parcours est partiellement retouché ce qui donne des kilométrages plus ou moins similaires, cette édition 2024 étant plutôt tirée vers le haut. Départ depuis Grenade, petite perle architecturale de l'Andalousie qui abrite son joyau, l'Alhambra.

Le parcours 2024

Grenade on s'y sent bien, on y mange bien, c'est toujours agréable d'appuyer sur pause avant de partir avec le Manitou pour un gros chantier.

Le terrain rencontré est difficile. Le mot est simple mais c'est la description la plus juste que je peux donner. 75% off-road, les portions bitumées sont principalement des jonctions entre massifs et déserts.

Varié, c'est aussi un autre qualificatif. Entre pistes forestières, désert de Gorafe et Tabernas, passage à la Méditerranée et l'arrivée à Capileira jouxtant le plus haut Col routier d'Europe Pico Veleta, c'est trace est l'antagoniste de la 10e symphonie de Beethoven. C'est un produit fini qui ne prend sens qu'une fois l'arrivée franchie.


Enfin à Badlands les règles sont simples. Pas de check-points, pas d'aide extérieur, tout problème doit être résolu par soi-même. Vous pouvez quitter la trace si vous la reprenez à l'endroit exact où vous l'avez quittée. Un abandon ? Vous rentrez par vos propres moyens.

On retrouve logiquement au départ un public majoritairement expérimenté, rodé à ce genre d'épreuves et j'ai rencontré un paquet de coureurs dont ce n'était pas le premier Badlands.

Pour finir, c'est aussi la référence mondiale en gravel sur cette distance. Une startlist qui vous signale que devant ça va pas prendre le temps de régler le choke sur le carburateur. Les meilleurs mondiaux sont là, Badlands se gagne chaque année en +-40 heures.

Le profil et ses 7 "sections" de paysages que nous traversons

STRATEGIE DEFENSIVE


J'attaque Badlands en pleine forme. J'arrive quelques jours en avance histoire de profiter du coin. Chillin' à Grenade, Social Ride pour rencontrer du monde, briefing, mise en place du matos. Tous les feux sont au vert. Je prends la décision de prendre beaucoup de choses avec moi. Loin d'être un plaisir d'emmener un vélo de plus de 17kg mais je fais une aparté pour un public moins connaisseur : plus vous voulez anticiper des problèmes, plus vous emmenez des choses avec vous. Que cela soit en matériel mécanique, capacité en nourriture & eau, vêtements, batteries & câbles,... vous avez le choix entre une version minimaliste (l'équivalent d'une stratégie offensive) ou une stratégie plus défensive qui a l'avantage de ne pas s'offrir un DNF sur une patte de dérailleur ou autres soucis.

Les épreuves d'ultra sont déjà tellement exigeantes, le résultat c'est la "cherry on the cake". Alors à quoi bon se battre pour la cerise si au final vous n'avez même pas une part du gâteau ?

Alors j'ai pris le temps d'analyser ce que je venais chercher sur cette course précisément et placer mes priorités. C'est le meilleur conseil que je puisse donner à quelqu'un qui se lance. "Tu veux quoi gamin ? Publier 4 photos sur Insta ? Découvrir du pays, rencontrer des gens ? Faire la course? Rouler la nuit ? Tu veux souffrir ou tu veux prendre du plaisir ? Tu sais ce que c'est un cul de babouin ?"


Configuration pour Badlands

Finir est pour moi la "target number one". Du moins sur cette course. Après ma fabuleuse Race Around Rwanda et une RAF de bouclée, enchaîner ici deux petits mois plus tard a pour but d'aller chercher d'autres émotions, la découverte de l'évènement, ce coin d'Andalousie si insolite avec la forte envie d'aller aussi vite que possible !

J'en reviens à ma configuration. Il vous faut pour viser un top10-15 sur Badlands une configuration relativement légère. Et surtout un paquet d'expérience et les capacités mentales et physiques nécessaires. Les premières places se jouent avec des pauses minimalistes, aucun arrêt dodo ou éventuellement des micro-siestes de quelques minutes.

J'ai notamment avec moi : matériel mécanique très large, repas lyophilisé, bivy, matelas Sea to Summit, vêtements chaud pour me couvrir la nuit, redondance de toute mon électronique "au cas où" pour être indépendant, 4l de liquide,...

J'assume un objectif optimiste de top 20 avec une arrivée mardi après-midi.


SUNDAY BLOODY SUNDAY


Départ escorté par la policía dans les rues de Grenade

Dimanche 08h00, le départ est donné et l'ascension de 20 kilomètres d'entrée de jeu a l'avantage de lisser la masse. La première partie de la journée se passe sur des pistes plutôt forestières et moi qui n'ai pas ce genre de billard à la maison c'est un régal complet et fort heureusement je n'en suis pas rassasié.

The Mirador del Fin del Mundo, km79, c'est le nom d'une petite ascension dont les % ne m'ont même pas permis de prendre une photo.


L'Andalousie un 1er septembre, on peut dire qu'il fait encore chaud mais quand j'atteins le km127 et la porte d'entrée du désert de Gorafe je prends mesure de ce que le terme désert veut dire. Un dernier ravito est nécessaire avant cette traversée de Gorafe où nous attend un tronçon de 125km sans croiser un village. Je passe plusieurs heures entre 38°C et 40°C. C'est délicat, un des obstacles le plus compliqué pour les sports d'endurance. Ces températures supérieures à la température corporel requiert de ne pas faire n'importe quoi.

Cette magnifique route à la sortie du désert de Gorafe sous un soleil couchant

Sur la première partie de Gorafe j'en profite beaucoup, la piste est plutôt roulante et descendante, je suis bouche-bée devant ces formations rocheuses et spectaculaires, j'ignorais l'existence du vrai "désert" en Europe.

La deuxième partie la souffrance conquiert mon corps entier de façon violente. Je m'offre une mini pause sur le peu d'ombre que je trouve. J'ai encore de l'eau mais elle est chaude. Elle ne me rafraîchit pas et je n'ai pas la sensation qu'elle me réhydrate. Je sens que j'arrive dans ma zone rouge pétante mais je n'ai qu'une solution, c'est de m'extraire de ce putain d'endroit sans traîner. Je m'embourbe complètement dans un passage. Je casse des petits morceaux de bois pour libérer le passage de roues et répartir. Je m'offre deux mini-breaks de 10' et m'efforce de repartir, la nuit va tomber et je veux arriver à Gor (km238) pour me ravitailler au mieux et au plus vite.




STILL A LONG WAY TO GO


Gor est en fête, ce petit village accueille Badlands chaque année et le chiffre d'affaire de la supérette et du bar/restaurant font exploser l'enthousiasme. Sans blague ils étaient d'une gentillesse profonde et sincère. 21h00, je fais le plein prêt à repartir dans la foulée. Je vomis 4 fois (proprement dans la rigole). J'ignore si c'est la chaleur, le froid de mon ravito qui vient me percuter, le sandwich du midi qui avait tourné,... Complètement hors-service, complètement inattendu, complètement contraire à mon plan de route. Je prends la décision de me coucher 2h00 (de 22h à minuit) pour espérer remonter en selle.

Désert de Gorafe

Minuit le réveil sonne, je file au bar du village essayer de me nourrir. J'ai la lucidité de savoir que mon corps est complètement vidé et si je n'arrive pas ne fût-ce qu'à me réhydrater ou mettre un peu de sucre je ne vais pas grimper les 550km/12 000m d+ restants. Je mets 45' à finir deux Coca et quelques pauvres frites en bouche. Je repars déterminé en 57e position avec la conviction d'avoir bien fait les choses.


Je roule toute la nuit et je ressens les paupières vraiment lourdes aux premières lueurs. Je sais que c'est passager et qu'une fois le jour levé les choses rentrent dans l'ordre mais n'arrivant pas à manger le moindre aliment je décide de redormir 1h (de 7h à 8h) au pied d'un arbre après avoir franchi le col le plus haut de notre trace (Alto de Velefique) à 2150m d'altitude . Cette forêt en mousse très calme et très agréable m'offre un sommeil cinq étoiles, sans aucun besoin que je sorte mon matelas.


RENAISSANCE


Réveil en vitesse, la longue descente synchronise mon arrivée au petit village de Velefique à l'heure du petit-déjeuner. Un arrêt plutôt long imposé par la rapidité du service espagnole mais la tortilla que je me fais servir au comptoir avec ses deux expresso sont pour moi une bénédiction. Je remange enfin et ma bouche reproduit de la salive. Le simple sandwich sonne comme une décharge d'accumulateurs.


Petit passage sur le billard, quel confort

Direction la mer, Cabo de Gata et son parc naturel Cabo de Gata-Níjar. C'est le seul espace de la côte espagnole resté vierge. C'est sec, ce contraste entre terre grise et mer bleu est sidérant. Le seul fait de voir la mer m'offre un bain de fraîcheur. Voilà une découverte cognitive supplémentaire. La trace nous fait quitter la côte et revenir quelques fois. J'ai beaucoup de plaisir à rouler sur les premiers sommets en bord de mer. La grande bleue disparaît et réapparaît au fil de virages. Cette longue traversée clôture déjà cette deuxième journée. Je fais un gros plein à San José, la seule grosse ville présente sur la trace, avant d'aborder la deuxième nuit où requinqué je sens que je vais envoyer du pâté. La nuit ça m'excite. Le simple fait de m'arrêter au bord de la route et d'allumer mes lampes j'ai l'impression de déballer un cadeau. Le calme se fait. Tous les sens s'éveillent. L'obscurité est totale sur les pistes, on sait que la moindre lueur au loin est synonyme d'une route ou d'un village. Comme à chaque fois je me plais à deviner les animaux qui, figés, croisent le regard de ma frontale. Dans les longues ascensions, on peut facilement deviner un concurrent devant ou derrière nous.

L'organisation a beau nous avoir mentionné que l'on traverse des plages rendues célèbres par Indiana Jones, j'ai pris zéro plaisir à pousser mon vélo dans le sable pour aborder la nuit. C'est ça aussi Badlands, chaque année il y a ces petites sections quasi les pieds dans la mer. CHANGEMENT DE CAP


Hôtel "infini" d'étoiles

La trace quitte définitivement la côte au km511. C'est une grosse étape mentale de faite, il reste un détour par le désert de Tabernas et ensuite le cap est sensiblement le même vers Capileira le village d'arrivée.


Collado Colativí est le nom de l'ascension de 25km qui nous cueille une fois éloigné de la côte.

02H15 du matin, à quelques kilomètres du sommet je trouve l'endroit parfait pour un petit sommeil qui était planifié. Je ne sais pas si j'ai déjà aussi bien dormi que ça dans ma vie. Le réveil sonne 1h50 plus tard. Le champ d'étoile qui accompagne l'ouverture de mes paupières me pousse dans cette conviction : "à bloc vers Capileira". 4h15 je suis en route et ma vitesse de croisière depuis 24h me repositionne dans le top35. J'attaque Tabernas le matin plutôt soulagé vu les températures qui cognent déjà. Ca me permet d'apprécier le moment car le pilotage est délicat. C'est très sableux, le vélo s'enfonce à chaque centaine de mètre. Il faut déclipser, pousser sur 3 mètres puis ça repart. Et ça recommence en continu. Pendant longtemps. Je ne sais pas combien car ma fatigue biaise ma perception.

La chaleur est omniprésente sur cette édition 2024

Le village d'Alboloduy me permet de faire le plein vers midi. Je le précise car à Badlands, les ravitos sont peu fréquents. Une étude judicieuse du parcours en amont est nécessaire si vous ne voulez pas faire un remake de Into the Wild.


A la sortie du village je prends un coup de masse surpuissant. Alors que dimanche on oscillait entre 38° et 40° l'après-midi, on se reprend un 39° à 41°C sur ce mardi. Je coupe le signal du cerveau qui dit "break, please". Les coups de pédales se font comme un condamné marche pour porter sa croix.

En plus de ma crème écran total je bricole une chèche avec mon tour de cou et un chiffon. A chaque fontaine j'immerge ma tête pour repartir avec le textile frais. C'est la même difficulté pour tous les concurrents. Ma motivation est d'arriver ce soir à Capileira. Une sieste à l'ombre me ferait passer une troisième nuit sur le vélo.


TOUT VIENT A POINT A QUI SAIT ATTENDRE


La vue d'une des dernières ascensions

On m'annonce une fin absolument ardue, presque apocalyptique. C'est vrai que le petit coup d'oeil au compteur qui affiche les 142km & 4100m de d+ restants m'irrite les yeux. Pourtant c'est la partie que j'ai le plus apprécié. Que d'énergie retrouvée ! Les explications sont multiples. Je suis complètement réalimenté et réhydraté de mon aventure de dimanche soir. Ensuite la chaleur m'a totalement bridée en terme de watt. Face à cette impossibilité de pousser sur les pédales, la fraîcheur retrouvée en fin de journée m'a fait revenir à mon capital force non entamé.

Cette dernière ligne droite de quelques heures m'a semblée si courte et si agréable. Je ramasse les cadavres un par un, le top30 est à ma porte. Je ne ressens plus de fatigue, plus d'émotions si ce n'est cette joie sur une portion de pistes techniques mais roulantes. Le cerveau se souvient surtout de la dernière impression et c'est tant mieux. Les deux dernières ascensions à franchir méritent quand même ces quelques mots : vous étiez deux belles salopes.

J'arrive à Capileira à minuit cinquante-quatre, en 27e position après 64 heures et 54 minutes.

Il n'y a pas de strass et paillettes. Juste des finishers qui partagent leurs histoires autour d'une cerveza. Pour moi ce sera un peu plus qu'une.

C'est ça aussi Badlands, vous venez pour roulez et pas le reste. Une aventure épurée.


Merci à l'équipe de Badlands pour l'aventure et la trace.

Merci à mes fidèles amis.

Je suis pas Inoxtag, mais mon seul désir de ce partage vient comme une invitation à vous lancer dans des choses insolites.

Capileira, 00h54

164 vues1 commentaire

Posts récents

Voir tout

1 Comment


Maxime Pahaut
Maxime Pahaut
Sep 24

Salut ben,


Incroyable cette aventure ! Merci pour le partage. Vivement la prochaine !


Like
bottom of page