LE DECORS
2500 kilomètres, une traversée complète de la France du Nord au Sud reliant Lille à Mandelieu, une limite horaire fixée à 10 jours, voici le décors de cette course qui en est à sa 7e édition. Créée de toute pièce par Arnaud Manzanini après sa participation à la Race Across America, la Race Across France est née d'un désir d'importer le concept de l'autre côté de l'Atlantique. La RAF c'est une trace n'empruntant que des petites routes, un travail d'orfèvre réalisé en amont pour nous offrir une expérience unique. Si j'en suis c'est aussi parce que le tracé de cette édition m'a beaucoup attiré : le Massif Central, les Pyrénées, le Mont Ventoux et les Gorges du Verdon font partie des quelques points d'orgues annoncés.
Le cyclisme ultra-distance vivant une période de plein boom, on constate l'effervescence au calendrier où les évènements pullulent. Mais une RAF 2500 restera un évènement hors-norme, de par sa distance et sa difficulté. Je lui donnerai volontiers le nom de "petite soeur" de la TCR ou de la RAAM mais je n'aime pas les comparaisons. Les connaisseurs savent que chaque course est singulière et la difficulté ne vient pas du parcours mais des conditions d'autonomies qui sont offertes ou proscrites. La richesse d'un ultra cycliste, c'est sa participation à autant d'évènements hétéroclites.
Je vais commencer par la fin, je n'avais pas réalisé ni pendant la préparation et ni pendant la course ô combien 2500 kilomètres c'est long. Ce n'est que le lendemain de mon arrivée, ayant retrouvé un peu de clairvoyance que mon esprit s'est exprimé d'un : "Putain, 2500, c'est long. C'est une autre planète." Ici, je ne fais pas référence au temps passé que je ne pourrai caractériser. Tout fût plutôt "hors du temps", mettre des chiffres sur cette aventure serait passer à côté de ce que j'ai vécu et de ce que nous participants avons vécu.
LE GRAND DEPART
Reprenons notre fil chronologique, tout commence de Lille (difficile de partir plus au Nord), exactement depuis l'imposant B'Twin village, centre de développement de la partie cycle de la célèbre enseigne. Un départ en soirée où chacun y va de sa petite opinion sur l'aspect idéal ou contraignant de l'heure de départ mais moi je vous dis, que l'on parte au petit-déj' ou à l'apéro, le menu à se farcir reste le même.
21h50 le gong a sonné, je m'envole dans la nuit Picarde vite récompensé par un premier coucher de soleil à la tendance rosâtre.
Je mets un petit moment à comprendre pourquoi tous les panneaux de villages sont retournés, non je ne vis pas d'hallucinations aux premières heures de course. Oui les agriculteurs sont en colère. Solstice d'été bien présent, je suis cueilli par les premières lueurs du jour dès 05h00 et aidé d'un agréable petit vent dans le dos la première base de vie est atteinte peu de temps après. Une petite recharge des appareils, café, crêpes, je ne traîne pas car mon plan est de rouler 24h00 en continu avant de m'offrir quelques heures de sommeil la deuxième nuit.
Les bases de vie sont une des marques de fabrique de la RAF. Au nombre de 6, réparties sur la trace, on y trouve ; de quoi se restaurer, poste de charge, douches et lits de camps. Au kilomètre 1500 & 2000, nous retrouvons un sac de 20 litres déposé précédemment à Lille dans lequel nous sommes libres d'y mettre ce que l'on veut. C'est également le seul endroit où un proche peut venir nous voir. J'avais de mon côté choisi de vivre mon aventure en autonomie. Les proches, c'est un échappatoire trop facile vers l'abandon en cas de difficulté. C'est d'ailleurs mon seul petit reproche à la RAF, j'ai vu trop de personnes qui retrouvaient leurs proches sur le parcours, ne fût-ce qu'une fois. L'organisateur met tout en place pour l'éviter, le phénomène est très limité mais le risque est qu'une dérive s'installe dans le futur. Les bases de vies sont déjà une aide considérable, supprimons toute présence, laissons les aventuriers vivre l'aventure.
LE JOUR D'APRES
Kilomètre 623, Gueugnon, fin du fameux run de 24h00, une vitesse moyenne de presque 29km/h. S'alimenter et dormir, voici les deux essentiels qui m'attendent. Ayant fait l'impasse sur la nuit précédente, je m'autorise cinq bonnes heures de sommeil qui ne seront pas de trop. J'ai ma petite routine millimétrée à chacun de mes arrêts où j'effectue les mêmes tâches dans le même ordre et avec méticulosité. Ce n'est pas nécessairement pour gagner quelques minutes mais plutôt pour éviter d'oublier de mettre un appareil en charge, manger ce dont j'ai besoin,...
La mise en route matinale est brutale et le deviendra un peu plus chaque jour. Le corps fatigué, les yeux marqués, le sommeil insuffisant. Le tout est d'en être conscient, d'avoir identifié les raisons profondes du "pourquoi" je suis là. On ne fait pas une RAF pour paraître, pour faire partie d'une communauté, pour passer une ligne d'arrivée.
On fait une RAF car en soi brûle une petite flamme alimentée par autant de raisons qu'il y a de participants. Je connais les miennes.
Je sais que lorsque je redémarre après quelques heures de sommeil la fatigue et la douleur se dissipent une heure plus tard. Repartir de nuit est aussi un élément à considérer, il y a plusieurs astuces mentales pour y faire face très facilement.
En ce matin du deuxième jour je suis un homme heureux, je me dirige vers le Massif central. Le plat me nuit, le plat m'ennuie, le plat m'épuise et bien que je ne sois pas un pur grimpeur, c'est dans ces grands massifs que je m'exprime et que mon périple prend sens à la vue des décors qui s'offrent à moi. Une journée dantesque s'annonce devant nous, les Dieux du ciel nous attendent gaiement dès les premières pentes. Rapidement toutes les couches dont je dispose sont sur moi et surtout une dernière couche complètement étanche qui me sauvera. De temps en temps le ciel laisse à penser à une accalmie mais ce n'est qu'une banale illusion. C'est une de mes meilleurs journées sur cette RAF, tout semble facile malgré les éléments. Une première au Puy Mary, le spectacle qui s'ouvre devant moi est saisissant, je suis incrédule de trouver cette verdure et ce relief entourés de cette plate campagne d'Auvergne. Les pancartes Tour de France jonchent la route, je devine un passage de quelques fusées dans les prochaines semaines sur ces mêmes routes.
Un évènement critique se passe, je constate la perte du contenant de ma sacoche arrière. Les mains gelées, la fatigue, 7°C, j'ai dû manquer de lucidité pour bien la refermer lors du dernier arrêt. Dans cette sacoche des éléments essentiels à mon avancement, je crois de suite que mon chemin s'arrête ici : mon chargeur sur prise, ma deuxième PowerBank, tous les doubles de câbles, ma trousse pharmacie (brosse à dent, crème cuissard, crème solaire, boules quies), mes couvertures de survies, le bivy. Je téléphone de suite au PGO (Poste de Gestion Opérationnel) car y figure du matériel obligatoire. Après avoir obtenu le "go" avec la consigne de racheter le nécessaire sur mon chemin, je tombe sur cette âme charitable dans un village qui me laisse une prise de charge, l'aventure continue. Ce qui me sauve, c'est finalement cette météo qui m'a contrainte à porter absolument toutes mes couches, j'en aurai bien besoin pour la suite. Le lendemain (un dimanche au milieu du Lot-et-Garonne!) je réussi à acheter deux autres chargeurs, c'était aussi un petit exploit.
VIRAGE A GAUCHE
Anglet (Biarritz, Atlantique) arrive péniblement. Nous sommes au jour 4 et je vis un véritable chemin de croix. J'ai une multitude de soucis en tous genres à régler. Matériel, physique, mental. C'est comme si la course n'était pas assez dur et que les éléments avaient décidé de me défier un peu plus. Je n'ai aucun plaisir à vous les conter. Chaque difficulté prise individuellement est mineure mais le défi physique total est tellement gargantuesque que des faits à priori anodins ne le sont pas.
Avancer. C'est mon maître-mot. Je me fixe un objectif modeste à atteindre dans l'après-midi et je considère que tout kilomètre effectué en plus est du bonus.
La troisième base de vie est atteinte, kilomètre 1430, et premier sac personnel que je retrouve !
Le changement de cuissard est orgasmique. Une petite aparté à caractère non commerciale, des vêtements de très bonne qualité dans lesquels vous vous sentez bien sont une absolue nécessité sur ce genre de périple. Je suis sous le charme total des textiles Café du Cycliste, il n'y a aucun compromis possible quand vous enchaînez 7 jours consécutifs à 20h de selle. Je croise un copain, Laurent, qui prend le départ du 1000 kilomètres en soirée, sa présence me réconforte. Comme à chaque base de vie je file très vite car ma stratégie en fait complètement abstraction. Je m'arrête quand mon corps en a besoin.
Les Pyrénées sont à vues, on prend un énorme virage à gauche et maintenant c'est tout droit vers le Mont Ventoux. Plus que 1100 kilomètres.
UNE ODE AUX PYRENNEES
Une région qui m'était étrangère. Comme expliqué en amont c'est une des raisons pour laquelle je fais partie de cette aventure.
Quatre ascensions majeures sont répertoriées sur ce massif : un premier col Basque (Ahüzki), Marie Blanque, Spandelles et le mythique Tourmalet.
Je vis mon moment le plus épique lors de la traversée du Pays Basque et ces élevages pastoraux qui prennent tous leurs droits sur les routes que l'ont parcourt. Ici les animaux sont rois et qu'ils soient d'élevage ou sauvage la nuance est faible. C'est une terre où la vie reprend son sens. C'est un endroit où j'ai pris le temps de m'arrêter contemplant les foulées non athlétiques des vaches qui se muent au rythme de leur cloches. Contemplant cette route étroite zigzaguant dans cette verdure éclatante, c'est comme si ici la nature avait imposé à l'homme un tracé et non l'inverse. Je salue les bergers que je croise, leur esprit semble aussi libre que ne le sont leurs troupeaux. Ici j'ai aimé, ici je me suis senti vivre.
Les ascensions de Spandelles et Tourmalet nous ramène à la civilisation. C'est tout aussi majestueux, mais on retrouve du monde, des voitures, des motos,... Les grands cols attirent, la saison estivale pointe le bout de son nez. La vue du Pic du Midi me rappelle la haute-montagne, je suis content de passer ici en journée et non de nuit tant les conditions qui s'offrent à moi sont idéales.
Une fois prise la petite photo souvenir sous le panneau Col du Tourmalet 2115m il n'y a ensuite plus qu'à se laisser descendre jusqu'à chez Octave à Bagnères-de-Bigorre où se situe notre quatrième base de vie, un véritable lieu de vie pour cycliste créé par Bruno Armirail. Je rêvais d'un Capuccino-lait d'avoine. Je l'ai eu, l'homme repart heureux et conquis des Pyrénées.
C'EST TOUT LE TEMPS TOUT DROIT
Vous vous souvenez petit, le crayon à la main, à essayer de tracer une droite sur une grande feuille A4 ? Vous faites pareil, de Carcassonne au Mont Ventoux, la main tremblotante, vous avez le bon tracé ! Jamais tout plat, des vignobles et finalement de très grâcieux paysages à contempler, voici ce qui me sauve sur cette portion que je redoutais tellement. Mon rendement chute dès que c'est plat, mes pépins physiques s'accumulent quand c'est roulant, cette "étape de transition" est plus corsée que prévu et c'est tant mieux. Mes souvenirs ne sont plus assez clairs que pour vous dire si j'ai vraiment apprécié mais la pauvreté des évènements me laisse à ces quelques mots sans opulence. Ah si ! Plutôt des coups de biens et surtout beaucoup de force. Depuis le troisième jour je gagne en force, malgré le manque de sommeil prononcé. Comme quoi, quand on explique qu'un coureur n'est plus le même à la sortie d'un Grand Tour j'ai maintenant compris. J'appuie des heures durant, la machine exceptionnelle qu'est le corps humain a un pouvoir d'adaptation inégalé. La fatigue physiologique, elle, ne fait que s'accentuer.
LE MONT CHAUVE
C'est depuis Malaucène que nous attaquons ce qui pourrait être qualifié de dernière ligne droite. Et pourtant, les plus de 5000 mètres de dénivelé restants sur les 300 derniers kilomètres associés à une chaleur étouffante font de cette dernière étape une ultime œuvre symbole de souffrance et de jusqu'au boutisme. J'ai limité mon sommeil à 3 petites heures les 2 dernières nuits car je sens qu'une arrivée au soir de ce 7e jour est possible mas il me faut mettre les bouchées doubles.
A l'image de cette aventures où les moments d'euphorie succèdent à des périodes de détresse, la montée du Mont Ventoux restera un moment fort dans lequel j'ai une force extraordinaire, une fraîcheur retrouvée et un plaisir immense. D'ailleurs je ne pense pas qu'il existe des conditions plus idéales que ce que j'ai eu et je vous plante le décors : 06h30 au pied, levé du soleil, pas un km/h de vent du bas en haut, en court jusqu'au sommet, un seul petit coupe-vent pour la descente. Je ferai mieux de ne jamais y revenir et laisser en moi ces sensations uniques. Cette heure matinale m'a permis de profiter comme jamais, il y a vite du monde qui serpente ces lacets. L'après-midi devient un calvaire. C'est mon premier coup dur physiquement sur cette RAF. Je ne parle pas de fatigue, de blessures, d'imprévus,... je parle de l'aspect énergétique global. La traversée du Vaucluse et du Var accompagnée du chant des cigales n'est pas une offrande quand le compteur affiche 44°C au milieu de l'après-midi. Je suis sorti de cette impasse avec une gestion millimétrée. Couvrir le corps, des arrêts très fréquents pour faire le plein d'eau et mettre de la crème solaire, ralentir la vitesse pour éviter la surchauffe sont autant de basiques mais le moindre écart peut vous laisser de longues heures au bord de la route. Le passage des Gorges du Verdon est le dernier moment de pleine solitude tant apprécié avant une retour vers des zones plus urbaines.
PARENTHESE CHIFFREE
-Distance total : 2606 kilomètres. Trace total + trouver une chambre certains soirs
-Dénivelé total : 31 401 mètres
-Sommeil total : 23h45. En 7 nuits respectivement 0+5+4+4h30+4h15+3+3
-Classement : 20e position en 7j02h00'
-134 finishers sur 200 partants
-8e "temps de déplacement"
-Entre 60 000 kcal et 70 000 kcal dépensées
-Si je divise mes données en 7 tranches de 24h cela donne : 372 kilomètres et 4485m de dénivelé
J'aime l'aventure mais j'aime aussi la compétition. Mon objectif optimiste me faisait passer tout juste sous les 7 jours. Je suis loin devant mon plan B & C, je peux me montrer satisfait. J'avais estimé un top 10 sur ce scénario, mes calculs étaient correctes. Il y a tellement de situation sur ce périple où je pouvais gagner du temps. Mais tellement où je pouvais en perdre. Aucun coureur, du premier au dernier ne roule 2500 kilomètres sans pépins. La force, c'est de les anticiper !
L'EPILOGUE
Plein cap sur la côte d'Azur, la finish line approche. Elle n'est pas un objectif en soi, je n'y ai que très peu songé pendant la course.
La RAF c'est surtout ces 2500 kilomètres sur le vélo, loin de tout. Loin des autres, loin du travail, loin du quotidien. Proches d'autant d'autres : les éléments, ces petits yeux d'animaux à tout va en roulant de nuit, se nourrir, avancer, se préserver, trouver des solutions, sourire, pleurer, admirer, rencontrer. Une fois la ligne franchie tout s'éteint. La douleur s'arrête. Les larmes ne coulent plus. Les jambes ne doivent plus pédaler. Il ne faut plus avancer. Il ne faut plus se réveiller. Tout redevient "presque" comme avant. Mais ce ne sera plus comme avant, car j'ai réussi, je l'ai fait.
Jolie compte rendu, ça me donne encore plus envie. j’étais sur le 1000, et m’étais dit le matin du départ si top 20 je ferais le 2500, merde j’ai fini 18 ieme 😅 , le plus dure va être l’attente du départ 😬